Le livre 6 du Code civil, consacré à la responsabilité extracontractuelle a été adopté le 1e février 2024 et est entré en vigueur le 1er janvier 2025. Le nouvel article 6.3 § 2 du Code civil prévoit un élargissement de la responsabilité extracontractuelle des auxiliaires. En cas de dommage, la partie lésée pourra désormais engager la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de son cocontractant ou la responsabilité extracontractuelle de l’auxiliaire (ou agent d’exécution) de son cocontractant en cas de manquement dans l’exécution du contrat. Le législateur a donc décidé d’abroger la quasi-immunité des auxiliaires.

 

Ce nouveau régime impacte directement les administrateurs, les sous-traitants et les employés, ces derniers étant considérés comme des auxiliaires.

 

Les dispositions du livre 6 ne sont applicables qu’aux faits (fautes) survenus après le 1er janvier 2025 mais sont applicables aux contrats existants.

 

1. L’impact du livre 6 – Nouvelle option :
Responsabilité contractuelle ou extracontractuelle envers son cocontractant

 

L’introduction du nouveau Livre 6 permet à la personne lésée de mettre en cause, selon son choix, la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de son cocontractant pour un manquement dans l’exécution du contrat. Cette option n’était jusqu’alors pas possible puisque seul le recours à la responsabilité contractuelle était envisageable lors de la commission d’une faute commise dans l’exécution d’un contrat.

 

Ce nouveau choix aura des conséquences sur le délai de prescription de l’action. En effet, en matière de responsabilité contractuelle, le délai de prescription est de 10 ans alors que les actions en réparation fondées sur une responsabilité extracontractuelle se prescrivent par 5 ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable, ou par 20 ans à partir du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage[1].

 

2. L’impact du livre 6 :
Elargissement de la responsabilité extracontractuelle des auxiliaires

 

À partir du 1er janvier 2025, le créancier lésé aura la possibilité de recourir à une action extracontractuelle contre l’auxiliaire, et ce, même pour un dommage « contractuel », en lien avec l’inexécution du contrat. La mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de l’auxiliaire nécessite de démontrer la réunion de trois conditions : la faute extracontractuelle dans le chef de l’auxiliaire, un dommage et un lien causal.

   

Les administrateurs (A), les sous-traitants (B) et les employés (C) sont concernés mettant ainsi fin au régime de la quasi-immunité dont ils bénéficiaient.

 

A) La responsabilité extracontractuelle des administrateurs

Un administrateur d’une société agit en qualité d’auxiliaire de celle-ci dans le cadre du contrat conclu avec elle. Si l’administrateur était immunisé contre les actions en responsabilité d’une partie contractante de la société, ils peuvent désormais être tenus personnellement responsables de leurs erreurs commises dans l’exécution de leurs obligations par les cocontractants de la société, et ce, sans que ces erreurs  ne constituent une faute criminelle, aggravée ou délibérée.

 

B) La responsabilité extracontractuelle des sous-traitants

Le maitre de l’ouvrage ne pouvait engager la responsabilité extracontractuelle d’un sous-traitant mandaté par un entrepreneur principal que sous strictes conditions[2].

 

Depuis le 1er janvier 2025, le maître de l’ouvrage a la possibilité de se retourner directement contre le sous-traitant sur base de la responsabilité extracontractuelle.

 

Le sous-traitant peut quant à lui toujours, mettre en cause la responsabilité directe du maître de l’ouvrage, et ce conformément à l’article 1798 de l’ancien Code civil.

 

C) La responsabilité extracontractuelle des employés

Les employés bénéficiaient jusqu’alors d’une forme d’immunité quasi totale, leur permettant de ne pas être tenus responsables par des tiers pour des actes fautifs accomplis dans le cadre de leur travail. Ce principe a été remis en cause avec le nouveau livre 6 puisqu’une personne lésée, telle qu’un client, peut désormais demander des dommages-intérêts de manière extracontractuelle directement auprès de l’employé et non plus uniquement auprès de l’employeur.

 

L’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail prévoit cependant que l’employé n’est responsable envers les tiers qu’en cas de dol, de faute grave ou de faute légère répétée. Cette disposition reste en vigueur. Ainsi, les employés pourront toujours invoquer ce moyen de défense et pourront être tenus responsables des dommages causés à l’employeur ou à des tiers dans le cadre de l’exécution de leur contrat de travail que si ces dommages résultent d’une faute grave, d’un acte intentionnel ou d’une faute légère habituelle.

 

 

3. Que faire face à cette étendue de la responsabilité ?

 

Les dispositions du nouveau livre 6 sont de droit supplétif, ce qui signifie que les parties peuvent exclure ou limiter leur responsabilité extracontractuelle par convention.

 

Une révision des contrats est dès lors nécessaire afin d’intégrer des clauses visant à protéger les auxiliaires d’une responsabilité excessive. Celles-ci doivent être rédigées de manière claire et précise pour éviter toute ambiguïté et garantir une répartition équitable des risques entre les parties.

 

A) Contrat société / cocontractant – clause limitative de responsabilité de l’administrateur

Si l’administrateur peut désormais voir sa responsabilité extracontractuelle être mise en cause par un créancier de la société, celui-ci dispose de plusieurs moyens de défenses tel que ceux prévus dans son propre contrat avec la société, ceux dont dispose la société contre son créancier et ceux qui découlent du Code des sociétés et des associations, en particulier de l’article 2 :57 qui plafonne la responsabilité des administrateurs en cas de faute à un montant dépendant  du bilan total et du chiffre d’affaires de la société durant les trois dernières années[3].

 

Nous vous recommandons alors de modifier les contrats conclus entre la société et ses co-contractants afin de prévoir la renonciation par ces derniers à invoquer la responsabilité extracontractuelle des administrateurs. Une telle clause pourrait être rédigée comme suit :

 

« En contractant avec notre société, X renonce à intenter toute action en responsabilité extracontractuelle à l’égard des administrateurs et employés de la société.

Si une telle clause devait être considérée comme inopposable ou inapplicable, la responsabilité des administrateurs est limitée à celle prévue à l’article 2 :57 du Code des sociétés et associations  »

 

B) Contrat Maître de l’ouvrage / entrepreneur principal – clause limitative de responsabilité du sous-traitant

En ce qui concerne les contrats conclus entre une entreprise et un maitre de l’ouvrage, il sera conseillé de les modifier afin d’inclure des clauses définissant la notion d’auxiliaire et excluant toute responsabilité extracontractuelle, tant pour les parties à la convention qu’à l’égard des auxiliaires de l’entreprise, chargés de l’exécution d’une ou plusieurs obligations contractuelles. Une telle clause pourrait être formulée dans les termes suivants :

 

« Le Maître de l’ouvrage renonce à intenter toute action en responsabilité extracontractuelle à l’égard de l’Entrepreneur ainsi qu’à l’égard de leurs auxiliaires, pour les dommages résultant d’une faute commise dans le cadre du contrat.»

 

Les conditions générales de l’entreprise peuvent également être révisées afin de prévoir cette exclusion.

 

C) Contrat tiers / employeurs / employés – clause limitative de responsabilité des employés

Comme pour les précédents contrats, une clause prévoyant l’exclusion de la possibilité de recourir à une action extracontractuelle contre les employés pourrait être intégrée dans les contrats conclus entre les employeurs et les tiers. Une telle clause pourrait être la suivante :

 

« En contractant avec notre société, X renonce à intenter toute action en responsabilité extracontractuelle à l’égard des employés de la société. »

 

Dans le cadre d’un contrat entre un employé et un employeur, une clause d’indemnisation mutuelle pourrait également être prévue afin d’inclure une exonération ou une assistance à l’employé en cas de recours d’un tiers.

 

 

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Avec l’entrée en vigueur du nouveau livre 6 du Code civil, les relations contractuelles, y compris celles avec les auxiliaires, sont désormais régies par des principes renforcés de responsabilité extracontractuelle. En fonction des différents intérêts à protéger, certaines clauses pourraient être intégrées dans vos contrats telles que des clauses de limitation de responsabilité, d’exclusion de responsabilité, d’indemnisation mutuelle ou de responsabilité partagée.

 

 


[1] Article 2262bis de l’ancien Code civil.

[2] Requiert un manquement à une obligation contractuelle ou à un devoir de diligence et un préjudice distinct de celui causé par le manquement contractuel.

[3] La responsabilité des administrateurs est limitée à 125.000 € dans les plus petites sociétés et à 12 millions € dans les plus grandes sociétés. Ces limitations de responsabilité ne s’appliquent pas pour les fautes graves, délibérées ou criminelles des administrateurs.